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Nathalie Favre, créatrice de Où, la mode qu'on loue

J'ai rencontré Nathalie Favre après avoir cherché un site qui me plaise pour faire l'expérience de la location de vêtements.

Bien m'en a pris, Nathalie est LA personne qui a plein d'idées pour nous convaincre que la location d'un costume, d'une robe ou d'un blazer nous permet de concilier le plaisir et l'écologie.

J'ai immédiatement eu l'envie de sauter le pas. Le site de Où, la mode qu'on loue est beau, il porte haut les couleurs des valeurs que l'on veut pour notre avenir. Il y a dedans plein de vêtements de marques écoresponsables, ou de seconde main, pour les femmes et les hommes, les grandes occasions ou les jours ordinaires où j'ai envie d'être belle, tout simplement.

Le tout avec une logistique minimale, et aucun encombrement.

Une idée originale qui nous vient des États-Unis, où elle a le vent en poupe !

Inutile de rappeler la pollution inconcevable de la fast-fashion pour avoir envie d'essayer la location de beaux habits : il suffit de lire les arguments de Nathalie, et de filer jeter un œil sur le site Où, la mode qu'on loue !

Où, la mode qu'on loue

Comment vous est venue l’idée de créer Où, la mode qu’on loue ?

Je viens du marketing et de la communication. J’ai travaillé pour H&M. J’étais responsable marketing de cette entreprise en Suisse. Je suis arrivée au moment où H&M commençait à travailler autour du coton Bio. C’était juste après l’affaire du Rana Plaza*, et les premières campagnes « Conscious ». Je commençais à découvrir ce milieu, et à voir ce qu’il y avait derrière.

Après mon expérience chez H&M, j’ai été sensibilisée par différentes personnes autour de moi. J’ai alors travaillé chez Migros, leader de la distribution en Suisse. J’avais dans mon équipe des jeunes, la trentaine, les fameux Millenials, beaucoup plus sensibles que moi à l’écologie. Ils étaient plutôt « donneurs de leçons ». Ils m’ont fait mûrir sur le sujet. J’ai pris conscience que cette génération était plus sensible car les problèmes de la crise écologique, ils vont les vivre.

Je me suis alors demandé comment faire pour que cette industrie textile, qui est avant tout une industrie liée au plaisir, le devienne à 100 % C’est à dire que toute la chaîne soit un plaisir, et pas seulement celui qui est au milieu de la chaîne : le consommateur, qui paie parfois très cher pour ce qu’il a, et qui n'en sait pas grand-chose. Il ne sait pas comment son vêtement a été fabriqué, il ne sait pas tout ce qui a été détruit lors de la fabrication de son vêtement, ni ce qui est problématique à la fin de vie de son vêtement.

Je me suis demandée comment je pouvais transformer ça.

Quand j’ai arrêté de travailler pour Migros, je suis tombée sur des articles sur l’Atelier Bocage, qui lançait alors la location de chaussures, ainsi que sur Ralph Lauren, qui se lançaient dans la location de vêtements aux États-Unis.

Poursuivant ma réflexion, j’ai trouvé que le principe de la location vestimentaire est une excellente idée ! Utiliser les vêtements à plusieurs permet d’augmenter leur usage, donc de mutualiser leurs coûts de production, mais aussi leur coût écologique. Et on peut gérer le déchet en maîtrisant la fin de vie de chaque pièce.

Ce qu’il faut, c’est développer des partenariats, en amont (du côté des producteurs) et en aval (du côté du recyclage), tout en proposant au consommateur de garder le plaisir du renouvellement de sa garde-robe. Car on sait très bien qu’aujourd’hui, on va avoir du mal à convaincre qu’il faut garder sa chemise durant 10 ans pour des raisons écologiques. Avec la location, on a une alternative qui permet réellement de limiter les dégâts du secteur de la mode.

Je me suis dit que si ça fonctionne bien aux États-Unis, il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas en France.

Alors j’ai analysé le marché. J’ai vu qu’il y avait déjà quelques acteurs. Et je me suis lancée.

Le lancement de Où, la mode qu'on loue

J’ai cherché à me différencier des autres, qui faisaient « tout style ». J’ai eu envie plutôt de m’adresser aux jeunes, puisque ce sont eux qui m’avaient donné cette idée. Je voulais pouvoir leur proposer des vêtements de qualité, des vêtements écoresponsables, et des vêtements de seconde main, dans l’idée de les utiliser au maximum.

J’ai monté le projet en m’entourant de groupes de consommateurs de 15 à 25 ans. J’ai travaillé avec eux sur la mode, ce qu’elle représente, le vêtement neuf, le vêtement d’occasion. Et sur le vêtement de location, sur lequel ils n’avaient aucune idée, car ils ne connaissaient pas le concept.

C’est d’ailleurs grâce à ces groupes que j’ai intégré la seconde main dans mon projet. Car elle fait partie de leur quotidien. L’idée était d’aller au bout de la logique de l’écoresponsabilité.

Je souhaite proposer des vêtements et accessoires de qualité. Les marques écoresponsables sont des marques qui ont fait leurs preuves dans cette démarche, soit parce qu’elles ne consomment que des matières produites à proximité de leurs lieux de production, soit parce qu’elles font vraiment attention à ne travailler qu’avec de petits ateliers dans lesquels on peut maîtriser les conditions de travail, soit parce qu’elles fabriquent en France. L’idée est d’avoir des marques qui ont cette engagement d’écoresponsabilité.

Ces marques ne sont pas nombreuses, et elles ne sont pas encore connues. La seconde main me permet d’avoir des marques plus connues.

J’ai lancé le site Où, la mode qu’on loue, il y a un an, après 2 années de réflexion et de préparation. Je suis encore en phase d’apprentissage. C’est le tout début de la vie de cette entreprise. Je travaille pour la faire connaître, et également pour faire connaître la location de vêtements, qui est encore très confidentielle.

Je bénéficie d'un excellent accueil. On me dit que c’est génial, que c’est exactement ce qu’il faut faire, que c’est dans l’air du temps… Le comportement ne suit pas encore complètement, mais ça va venir !

Passons désormais du côté du consommateur. Très concrètement, comment ça se passe au niveau des tailles de vêtements ?

J’ai une gamme de tailles, pour tenir compte de la morphologie de mes client.e.s. J’ai des marques qui commencent au XXS, et ça va parfois jusqu’au XXXL. Mais la plupart des marques font le S/M/L classique. Je fais attention d’avoir quelques produits dans les extrêmes. Dans les tailles de costumes, par exemple, j’ai du 34 mais aussi du 50. La grande taille n’est pas ma spécialité, mais je propose quand même ce choix pour avoir un panel assez large.

Pour la seconde main, je n’ai, bien sûr, qu’une seule pièce, sans gamme de taille. C’est le côté « Coup de cœur », qui peut être d'une marque de luxe, ou un vêtement culte. L’origine « seconde main » est toujours indiquée sur mon site, donc les client.e.s savent que ce n’est pas forcément leur taille, et qu’il n’y en a qu’une.

Je couvre pas mal de besoins. J’ai environ 500 produits actuellement, avec 200 références.

Je publie les guides de taille des marques lorsqu'ils sont disponibles.

Pour les costumes d’homme, j’envoie un questionnaire, car il y a de nombreuses mesures : stature, largeur d’épaules, taille … Je travaille avec une couturière pour adapter les tailles. Il faut aussi que je puisse guider les clients vers des modèles adaptés à leur morphologie.

Pour le moment, je n’ai pas eu de souci avec les tailles. Dans l’oversize et l’unisexe, l’adaptation est plus facile.

Je réfléchis aussi à un guide par intelligence artificielle.

A terme, la recommandation de taille devrait être intégrée sur le site, de façon à enlever ce souci au client ou à la cliente. Car ce peut être un frein, surtout lorsque la marque n’est pas connue.
En cas de déception, si le vêtement ne va pas, nous trouvons toujours une solution. Pour ça, je recommande de prévoir une durée de location comprenant plusieurs jours avant l’événement, de façon à me contacter si ça ne va pas, et que j'ai le temps de renvoyer un autre vêtement. Par exemple, commencer la location le mardi pour un événement prévu le samedi. Certaines marques louent à 3 jours, mais c’est trop court pour prévoir ce genre d’arrangement.
Sur le site, la FAQ répond à la plupart des questions que l'on peut se poser sur la location de vêtements chez Où, la mode qu'on loue.

Êtes-vous déjà en mesure de connaître votre client-type ?

Je n’ai pas encore assez de recul pour le dire. Beaucoup de personnes ont loué pour un anniversaire ou pour un mariage. J’ai eu d’excellents feed-back, les gens étaient contents. J’ai même une cliente qui m’a envoyé des photos avec sa tenue, elle était ravie. Ce sont encore principalement des gens qui découvrent. J’ai eu un groupe de jeunes filles qui ont voulu expérimenter ensemble, parce qu’elles ne connaissaient pas encore la location de vêtements et qu’elles avaient envie d’essayer.

Ce qu’il faut, c’est tenter de susciter le besoin. C’est comme ça qu’on pourra percer. Il faut travailler le réflexe « j’ai un besoin ⇒ je loue ». Je fais des partenariats avec des écoles, à Lyon, pour des soirées gala, par exemple.

Mes client.e.s sont souvent attirés par la notion d’écoresponsabilité. Une fois, j’ai rencontré une cliente qui habite non loin de l’entreprise, nous avons bu un café ensemble. Elle correspond vraiment au profil « écoresponsable ». Elle a déjà en tête le fait qu’il faut qu’elle change son mode de consommation. Ce sont les gens comme elle qui sont les prescripteurs, ceux qui vont faire décoller le marché de la location. Et quand une relation directe peut se tisser, comme avec cette personne, c’est très positif.

Plusieurs de mes client.e.s sont arrivé.e.s par des moteurs de recherche écoresponsables, comme Ecosia ou Lilo. C’est la sensibilité de base des early-adopteurs.

Du côté des producteurs de mode écoresponsable, comment accueillent-ils votre projet ?

Quand je suis allée me présenter et présenter mon projet dans des salons dédiés, j’ai été accueillie à bras ouverts.

J’ai ciblé de jeunes marques, qui sont complètement dans cet état d’esprit d’écoconception. Je les ai cherché sur des salons, par exemple sur le Who’s Next à Paris, dans l’idée de trouver un contact direct avec le/la dirigeant.e. Dans le rayon Impact, j’ai eu droit à des réactions enthousiastes : des marques insistent pour que je prenne leurs produits, même si ma commande est en toute petite quantité, c’est à dire une pièce par taille, parfois même moins. Ils m’ont fait des conditions identiques aux autres magasins dont le volume de commande est bien plus important. Il y a même une marque dont je n’ai pas payé les produits : on a juste fait une convention, ils me font confiance pour que je teste mon marché avec leurs produits. Ensuite, nous verrons comment transformer cet essai pour une collaboration à long terme.
Ce sont des gens avec qui j’échange, avec qui j’ai des contacts réguliers, ils relaient mes posts, etc. Ils me servent de relais de promotion.

Je cherche actuellement des entreprises plus connues, tout en gardant mes critères sur le respect des normes écoresponsables. L’objectif est d’offrir plus de variétés à ma clientèle.

Comment faites-vous la synthèse entre la durabilité et la mode, qui par définition est éphémère ?

J'ai rencontré un jour une personne responsable d’une marque de vêtements de qualité, et engagée dans une politique écoresponsable. Elle me disait que, même si leurs vêtements avait un caractère classique et moyennement influencés par la mode, il leur fallait tout de même changer leurs gammes pour pouvoir vendre. Or leur argument de vente table sur la qualité et la durabilité, ce qui signifie potentiellement moins de chiffre d’affaire dans le temps.

C’est tout un équilibre à trouver.

La mode n’implique pas de toujours tout remplacer. On peut mixer le durable et l’éphémère. On peut remplacer une pièce, et s’accommoder avec ce qu’on a déjà. On peut louer une pièce « tendance » pour un moment, et la mixer avec ce que l’on a chez soi, en créant son « mix » personnel, en fait. Je pense que c’est là le message : la mode peut rester, car elle donne des idées, et elle fait rêver. Mais on n’est pas obligé de tout acheter, et on peut louer pour se faire plaisir.

C’est dans ce message que je m’intègre, et c'est la raison pour laquelle je cherche un positionnement plus « mode » que mes concurrents. On est chacun à des niveaux différents, et c’est ça qui est intéressant dans nos propositions.

Mon message est clair : la mode, aujourd’hui, si on veut continuer d’en profiter, c’est mieux de la louer plutôt que de risquer de polluer autant qu’avant. Pour contribuer à quelque chose de meilleur.

Aujourd’hui, que diriez-vous de votre modèle économique ?

Comme je débute, je n’ai pas encore un recul suffisant pour délivrer des chiffres comme des seuils de rentabilité, par exemple.

Mais voici mon état d’esprit : soit on veut continuer à polluer la planète et gagner des millions, soit on veut proposer des solutions aux problèmes que le secteur textile pose, et se contenter d’un revenu correct. Dans ce dernier cas, qui est le mien, on peut se lancer dans la location. Ou dans l’économie circulaire. Ces entreprises à impact sont celles qui donnent des promesses d’avenir.

Mon ambition est de pouvoir donner, à terme, des chiffres concrets sur ce que nous aurons permis d’économiser grâce à mon entreprise. Faire preuve de son impact positif.

Que se passe-t-il en fin de vie du vêtement ?

Si le vêtement est de bonne qualité mais présente des marques du temps, je vais le vendre d’occasion.

Sinon, je m’adresse à une entreprise de recyclage et de réutilisation.

Je m’attacherai à des critères d’économie circulaire. Je souhaite que le déchet soit géré de façon professionnelle.

Comment passer de H&M, une entreprise attachée à la fast-fashion, à Où, une entreprise vertueuse ?

Je pense pouvoir amener des codes utilisés par les grandes marques dans l’univers de l’écoresponsabilité, au bénéfice des consommateurs et des consommatrices.

Dans mon expérience chez H&M, j’ai connu un code éthique, la réflexion sur de nouvelles règles pour le secteur, la préservation des employés… C’est une entreprise qui m’a gentiment et naturellement amenée à cette prise de conscience.

J’ai toujours été dans la mesure. Mais depuis que je travaille sur Où, la mode qu'on loue, mes réflexes écologiques s’accroissent. Je souhaite concilier le bon sens et la fonctionnalité, tout en œuvrant pour réduire, à mon échelle, les problèmes graves que le secteur de l’habillement fait peser sur l’écologie.

Alors, prêt.e à expérimenter les habits à louer ?

Bravo Nathalie !

Il me reste à vous engager à aller faire un tour sur le site de Où, la mode qu'on loue, et de faire votre choix.

Pour une expérience de plaisir qui rime avec écologie.

Et je vous invite à poster en commentaire ce que cette démarche vous inspire, ou comment vous l'avez vécue...

* Affaire du Rana Plaza : effondrement en 2013 d'un immeuble à Savar, au Bengladesh, qui abritait des ateliers de confection textile travaillant pour de grandes marques internationales. Cette catastrophe a fait 1135 morts.